Au début de l’affaire Poivre d’Arvor, l’Héraultaise Margot Cauquil-Gleizes, 53 ans, ne voulait pas sortir de l’anonymat. Il a accepté de témoigner en mars 2021 à l’appui de la plainte déposée par l’auteur Florence Porcel contre l’ancien présentateur vedette de TF1. Elle a décrit à la police une agression sexuelle et surtout un viol, 36 ans plus tard, dont elle ne se souvenait toujours pas dans sa tête. La native biterroise, aujourd’hui professeur de dessin à Paris, vient de décider, mi-septembre, de porter plainte concernant ces deux affaires. Même s’ils sont, a priori, prescrits (lire par ailleurs). Il a choisi de s’exprimer dans Midi Libre pour poursuivre haut et fort le combat mené par le groupe de plaignants dans ce but : obtenir un procès. PPDA, le nie dans son intégralité, et a porté plainte pour diffamation, notamment contre Mme Cauquil-Gleizes.

Pourquoi parle-t-il aujourd’hui ?

“Je veux qu’ils nous écoutent et nous croient. Le fait que nous soyons tous ensemble nous donne de la crédibilité. Je n’en connaissais aucun il y a un an, je ne pouvais pas le faire, c’est un pouvoir collectif.” Aujourd’hui, elle prend le risque de se dévoiler publiquement : “Lever l’anonymat, c’est compliqué, je suis enseignante, mais les parents, les élèves et la hiérarchie sont bienveillants, ma famille et mes proches aussi, comme mes deux fils.”

La rencontre avec Patrick Poivre d’Arvor, automne 1984

“Il appelle mes parents vers 21 heures.” dit celle qui a grandi à Bassan, près de Béziers, jusqu’à sa majorité. Là, en 1984, à l’âge de 16 ans, auteur d’un recueil de réflexions existentielles, il avait écrit au journaliste pour lui demander conseil. Patrick Poivre d’Arvor veut vous parler. A cette époque, nous avons regardé à 20 heures. tous les soirs, religieusement, je n’avais pas le droit de parler à table. Il me dit qu’il serait content si je pouvais lui soumettre mes textes et me demande aussi quel sous-vêtement je porte… Je me sens mal à l’aise, je lui dis que je ne peux pas répondre, c’est pervers, mais il m’impressionne avec le personnage.”

Viol signalé dans un hôtel de Sète, printemps 1985

Les semaines passent, la correspondance et les appels téléphoniques continuent. Il reçoit deux cartes PDDA écrites à l’encre violette qu’il aime. “Il m’a dit que j’étais doué, qu’il me trahirait… C’est le serpent qui hypnotise.” Jusqu’en mai 1985 où l’animateur vedette rejoint Sète pour une manifestation littéraire. Le rendez-vous est pris au Grand Hôtel. Pensant présenter ses textes, la réceptionniste lui dit que Poivre d’Arvor l’attend dans sa chambre. Tout va très vite : « Il m’ouvre la porte, je vois une petite chambre, je me demande où on va s’asseoir, il dit bonjour, mademoiselle, il me prend tout de suite, me penche sur le lit, se déshabille. moi, il se déshabille, me pénètre et dure cinq minutes, je suis dans un état de surprise, je ne connaissais pas ce mot alors, j’avais une alliance au pouce, il tape son alliance sur le mien et dit je : “surtout ne pas se marier trop jeune”. Il part prendre un bain en me disant : “maintenant j’ai rendez-vous”. Je m’habille machinalement et je pars”. Le PDDA, dans ses auditions, a toujours contesté l’absence de consentement.

Anna devient Margot

Son existence change. Elle n’en parle à personne et décide de s’appeler Margot et non plus Anne. “J’ai eu du mal à me fixer alors”, explique-t-il après quelques secondes de réflexion. “Il y a du déni, je ne le dis à personne, pas même au psy qui me suit, j’ai envie d’oublier, de cacher cette saleté. La dépression arrive quelques mois plus tard. Maintenant je comprends que c’était lié à cet épisode. J’ai changé mon prénom, comme si je voulais changer de peau, mettre une meilleure robe, mon âme était blessée. Je me dis que Margot est mon nom de guerrier, avec le ‘OT’ à la fin, comme si j’enlevais quelque chose de flippant.”

Le livre où elle est comparée à un homard

La jeune femme reste en contact épisodique avec le journaliste qui publie en 1988 son livre “Les femmes de ma vie”. “Il m’avait demandé l’autorisation de publier une de mes lettres et j’ai accepté… Je suis dans le déni, on continue d’avoir des échanges, on se rencontre, on ne parle jamais de cette rencontre à Sète”, explique-t-il. Mais dans ce livre, le passage qui lui est consacré résonne aujourd’hui de manière inquiétante : Margot est comparée à “un homard”, pour se mettre “le pouce et l’index derrière la pince” afin qu’elle ne s’agite plus et ne “gargouille”. Le message n’offense personne. Jusqu’à cet été 2022 où l’Héraultaise est alertée par ses compagnons d’une mésaventure du collectif. “Je me suis rendu compte il y a environ deux mois… Quand je relis la citation, ça fait peur, c’est comme s’il décrivait le viol de façon très colorée, j’ai trouvé ça fou, il ose même le dire. … Et permettez-moi de dire qu’avec tout ce que nous décrivons, il n’y avait pas d’avis d’expert psychiatrique sur lui…”

La demande d’une “petite gourmandise” après 20h.

Il y a une deuxième rencontre entre Patrick Poivre d’Arvor et Margot Cauquil-Gleizes qui vient de terminer l’école des beaux-arts de Montpellier, en 1992. Elle cherche un stage sur les plateaux, elle le contacte. “J’étais encore dans le déni, je me suis dit que ce serait bien qu’il m’aide”, nous a-t-elle confié. Le journaliste l’appelle sur le plateau à 20h puis va manger. “Là, c’est le Dr Jekyll et Mr Hyde, charmant quand il lance les sujets puis odieux avec ses groupes, il change de visage. J’ai attendu 20 minutes qu’il mette à jour son journal et il arrive. Il met ses notes, je reçois debout, il me dit : ” bonsoir, c’est bon de te revoir “, il pose son derrière sur le bureau et me dit comme un homme avec une grimace : ” Ah, écoute, le papier était vraiment trop stressant pour moi , je suis trop tendu, tu ne me ferais pas une petite gâterie pendant qu’il dézippe son pantalon. Là, l’événement de Sète me revient en mémoire, je me dis que ce n’est pas possible, c’est un grand patient. Je dis non, il insiste : « Viens, une toute petite friandise », je lève la voix mais personne ne vient, il change de visage et dit « dans ce cas, bonsoir ». Je me sens humilié, stupide d’être venu.” Le journaliste a déclaré à l’audience qu’il ne se souvenait pas de cette rencontre.

Pourquoi a-t-elle continué à sortir avec lui ?

Pourquoi tant de plaignants ont-ils continué à sortir avec la star ? “Il a dit que je n’étais pas sous influence, il était en position dominante de toute façon parce qu’il était extrêmement connu”, répond-il. « Et puis encore faut-il savoir que vous avez été pressé. Grâce à la police, au major qui m’a extrêmement bien reçu, en mars 2021, j’ai enfin compris quand il m’a dit : « si, madame, vous aviez été pressé” pourquoi il y a le sens de la surprise. Comme je n’ai pas résisté, je me sens coupable, honteux et silencieux. Il y a du déni, on invente cet horrible fait pour survivre. C’est aussi une question d’éducation, ça ne pouvait plus arriver aujourd’hui à des jeunes filles très averties, il fallait me dire : “tu ne montes jamais dans la chambre d’un inconnu, même si c’est PPDA”.

Comment faire l’expérience de l’état de “prescrit”

Ça décroche quand il voit le PPDA à la télé répondre aux accusations de Florence Porcel. Il décide de témoigner dans cette affaire rejetée. “Je suis prescrit, notre combat est de faire bouger les lignes, la loi, si nous réussissions, ce serait notre victoire.” Dans l’attente d’un éventuel rebond judiciaire, Margot Cauquil-Gleizes est soulagée. “Enfin, je suis fier. De nous tous, je le dis avec un grand sourire. Je pense que cela ouvrira les paupières de ceux qui veulent encore fermer les yeux.” Et le livre d’Hélène (dans lequel elle raconte son histoire, ndlr), fera date, c’est un livre intense . Aujourd’hui beaucoup de femmes n’osent pas témoigner à la police, je pense qu’on est entre 60 et 90 dans ce cas. Et nous espérons tous un procès.” Hélène Devynck publie ce vendredi 23 septembre “Impunit” (Seuil), avec le récit de 23 lanceurs d’alerte dont le sien.