Posté à 6h00
Nathaëlle Morissette La Presse
Depuis plusieurs mois, l’AQMAT et son président, Richard Darvo, militent pour une réduction des horaires d’ouverture afin de permettre aux commerçants et à leurs employés de souffler un peu, dans un contexte de grave pénurie de personnel. L’idée que deux commerçants décident ensemble d’avoir des horaires d’ouverture similaires a été évoquée. Cependant, cette pratique est illégale. Le Bureau de la concurrence a informé M. Darveau qu’il s’expose à une amende pouvant aller jusqu’à 25 millions de dollars ou même à une peine d’emprisonnement s’il encourage ses membres à s’entendre sur les heures de travail. ouverture commune. PHOOT FOURINE PAR L’AQMAT Richard Darveau, président de l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction « Un accord à l’amiable entre entreprises concurrentes pour convenir d’un même horaire aurait pu être un choix implicite [dans le dossier sur les heures d’ouverture]mais le Bureau de la concurrence a récemment statué qu’une telle coopération est une collusion, aussi illégale et passible d’amendes et d’emprisonnement que la fixation des prix ensemble », a écrit Darvo plus tôt cette semaine dans une lettre aux différents partis politiques pour remettre en question l’importance que le gouvernement modifie le loi sur les heures d’ouverture. Retourner. En août 2021, le Bureau de la concurrence a fait part de ses « inquiétudes » au président de l’AQMAT au sujet des « actions envisagées » par l’organisme pour amorcer un débat de fond sur les heures d’ouverture des commerces. “Un accord entre concurrents pour restreindre et coordonner leurs activités soulèverait des préoccupations en vertu de l’article 45 de la loi [sur la concurrence] », peut-on lire dans une lettre envoyée par le Bureau de la concurrence à M. Darveau. “Quiconque commet cette infraction encourt une amende maximale de 25 millions de dollars et jusqu’à 14 ans de prison ou l’une de ces peines”, ajoute-t-il. La lettre rappelle qu’en plus des concurrents, une partie qui “encourage ou conseille d’autres à le faire” risque également d’être tenue “responsable pénalement”. Dans un courriel envoyé à La Presse, la représentante du Bureau de la concurrence, Marie-Christine Vézina, n’a pas voulu commenter le dossier précis, car « le Bureau mène ses travaux de manière confidentielle ». Cependant, il a rappelé qu’il était illégal pour deux entreprises de “fixer les prix, répartir les ventes, les territoires, les clients ou les marchés, réduire ou supprimer l’offre d’un produit ou d’un service, ou les offres de plate-forme”. En entrevue, M. Darveau estime qu’il s’agit d’une interprétation « assez élastique » de ce qui constitue une collusion. Le Bureau de la concurrence est convaincu qu’encourager les commerçants à se parler pour décider ensemble, par exemple, de fermer le jeudi à 18h. pour éviter de se cannibaliser, on franchit trop de lignes et on tombe dans la collusion. Richard Darveau, président de l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction “Leur argument est que deux entreprises concurrentes ne peuvent pas s’entendre pour priver le consommateur d’un bien”, a-t-il déclaré, ajoutant au passage qu’il respecterait la loi en vigueur. Résultat : en pénurie de main-d’œuvre, les quincailleries voisines qui pourraient être tentées de suivre le même horaire et de fermer certaines heures pour donner un répit à leurs employés, n’iront pas de l’avant par crainte de représailles. L’idée a déjà traversé l’esprit d’Annie Paquette, directrice générale des marchés d’alimentation Pasquier, dont les épiceries sont situées à Delson et à Saint-Jean-sur-Richelieu. Pendant le COVID-19, il a souvent travaillé en partenariat avec d’autres supermarchés. “On y a déjà pensé, mais le problème c’est que dans chaque ville il y a des magasins corporatifs. » Selon elle, ils doivent suivre un calendrier établi par la société mère et ne peuvent pas le modifier à leur convenance. De plus, le directeur général de Pasquier n’était pas au courant qu’une telle pratique était illégale. “Nous ne ferions jamais rien d’illégal. »
Rubrique sur les heures d’ouverture
Face à une telle situation, c’est au gouvernement de trancher la question afin de permettre à tous les commerçants d’être égaux, estime Mme Paquette. Selon elle, pas un seul commerçant n’osera fermer plus tôt samedi ou même ouvrir plus tard lundi si les concurrents ne modifient pas leur horaire. “Nous sommes très favorables à l’idée que le gouvernement mette en place une loi pour laisser respirer nos salariés”, déclare Sylvie Senay, copropriétaire des supermarchés Avril. En attendant, si les autres épiceries ouvrent, nous n’allons pas fermer. » « Ça devrait être sur un pied d’égalité », croit aussi Louis Côté, vice-président des opérations chez Goulet Sports Group, propriétaire de douze magasins Sports Experts. À ce moment-là, la concurrence sera obligée de suivre. M. Côté rappelle également que les commerçants ne peuvent pas décider seuls de leurs heures d’ouverture, notamment ceux qui ont des boutiques dans les centres commerciaux, où ils doivent respecter les règles imposées par les propriétaires. L’AQMAT sollicite également l’intervention du gouvernement pour modifier les heures d’ouverture, soit pour fermer le dimanche ou plus tôt certains soirs. Cependant, d’autres associations professionnelles n’ont pas la même position. Le Conseil canadien du commerce de détail (RCC) – qui représente entre autres IGA, Metro, Loblaw, Costco et Walmart – affirme que ses membres ne veulent pas que le gouvernement intervienne pour modifier une loi qui affectera tout le monde de la même manière. Selon Michel Rochette, président du CCCD pour le Québec, « les commerçants ont une bonne marge pour prendre la décision qui leur appartient ». M. Rochette croit que chacun d’eux peut choisir individuellement un programme qui lui convient. Au Conseil québécois du commerce de détail (CQCD), le directeur général Jean-Guy Côté consultera ses membres à ce sujet après l’élection. Il reconnaît que tout le monde n’est pas d’accord sur cette question. Tout en reconnaissant l’importance d’avoir le programme des concurrents sur « son radar », Alexandre Bérubé, économiste spécialisé en gestion, estime que la pénurie de main-d’œuvre et le débat sur les heures d’ouverture devraient être l’occasion de lancer une préoccupation plus globale. « Les entreprises doivent se demander : est-il important que nos consommateurs soient ouverts si souvent ? C’est là que l’innovation du modèle d’affaires entre en jeu. »