Leur voix tremble, tremble encore de leur terreur et de leur angoisse le 14 décembre 2017, côte à côte derrière la vitre de la cabine TER qui se dirige tragiquement vers le passage à niveau, numéro 25, de Millas. Aux commandes, Marilyn Vandeville, alors mère de famille de 35 ans et ancienne contrôleuse, poursuit sa formation de chauffeur. Avec l’aide d’un entraîneur, Thierry Madeira. A 15h30, ils quittent Villefranche-de-Conflent pour Perpignan, avec 5 minutes de retard, le temps de passer toutes les vérifications réglementaires. Vers 16 heures, le train est en phase d’accélération, à 75 km/h, en sortie de courbe, avec une vue dégagée sur la ligne droite du chemin du Ralet. Et là, au fond, ils n’en croient pas leurs yeux. « Au passage à niveau, j’ai vu les barrières descendre. Une fraction de seconde plus tard, un bus arrive. Et je le vois pousser et tordre la barrière, raconte Marilyn Vandeville. Dans les feux allumés, je ne peux pas être typique aujourd’hui, mais le obstacles , je suis catégorique. Je venais de passer la section des anomalies infrastructure et signalisation, je m’en suis rendu compte. A ce moment là je me suis dit : “Il va y retourner. Il va s’en apercevoir”, sauf que je vois le bus avancer faiblement . Ça ne s’est jamais arrêté. Je me suis arrêté à cette image.”

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“Tant qu’il n’y a pas de choc, il y a toujours de l’espoir”

Ensemble, les deux collègues poussent le même cri de terreur : « Mais qu’est-ce qu’il fait ? Ce n’est pas possible !”. “La barrière continue de se déformer. Et le bus continue d’avancer très lentement, poursuit Thierry Madeira. Je n’arrête pas de regarder ce mur de béton blanc devant moi. C’est imminent. Il y a toujours de l’espoir.” Pourtant, en quelques secondes, les cent dix tonnes de ferraille foncent droit vers le bus. “Nous ne pouvions rien faire d’autre. Le choc était inévitable, nous étions impuissants et c’est le plus dur.” Ils ne le savent pas encore mais il y a pire. En face d’eux, 23 étudiants rentrent chez eux sans soucis. A la dernière seconde, l’entraîneur se jette en arrière, pour se mettre à l’abri dans la bouche d’aération, certain que son stagiaire le suit. Ça ne bouge pas. “Je n’ai pas réfléchi, confie-t-il. J’ai aussitôt appuyé sur le système de freinage d’urgence et sifflé longuement, espérant que le bus accélérerait et dégagerait le passage. J’étais coincé dans ce bus. Il fallait qu’il parte.” Bien que je sache que je pouvais, j’avais été grièvement blessé sinon je ne serais plus là”. du désespoir “continue de siffler”….

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“On a attendu que le train s’arrête complètement. J’ai été frappé par l’odeur de chaleur et j’ai évidemment été assommé par le choc”, se souvient Thierry Madeira, qui ordonne à son stagiaire de s’arrêter de bouger, place un extincteur au pied de la porte du TER et il court vers le téléphone d’urgence pour couper la ligne au plus vite, pour éviter “l’hyperdramatique”, “pour éviter l’électrocution”.

“J’espérais tellement que le bus était vide”

Marilyn Vandeville attend, au milieu des éclats de verre et de la fumée. Aucun de ses passagers n’a été blessé. “C’était après que j’ai réalisé l’importance de l’accident. Je n’avais vu qu’une seule personne dans le bus. Et j’espérais tellement qu’il était vide. Puis j’ai vu le ballet des hélicoptères et j’ai réalisé qu’il y avait des gens à l’intérieur. Des enfants… “J’ai eu mon fils aîné qui aurait eu 13 ans, le même âge qu’eux. Je n’ai jamais eu un Noël comme avant. Le choc, il a été violent pour nous aussi, la souffrance que nous avons à l’intérieur.” “Une douleur, non pas physique, mais morale” que l’entraîneur, aujourd’hui à la retraite, et la conductrice, qui a validé sa formation, peinent encore à apaiser. Pendant longtemps, conclut-elle, “je me suis sentie coupable d’être en retard ce jour-là”. “On se dit et si, et si… mais on n’avait rien demandé.” Mais il fallait qu’il soit là au volant, car “ils devaient rétablir la vérité pour ces parents qui attendent des réponses”. Côte à côte, comme chaque 14 décembre, à l’abri des regards, lorsqu’ils vont déposer des fleurs sur le passage à niveau de Milas. Sans pouvoir remonter le temps.