Depuis le discours du président de la Fed Jerome Powell à Jackson Hole (Wyoming) fin août, les investisseurs s’attendent à un resserrement monétaire plus rapide et plus profond qu’initialement prévu. Ce mercredi, la Fed admet qu’elle “s’attend à ce que des hausses supplémentaires soient nécessaires” et dit s’attendre à “une croissance proche de zéro pour 2022 (+0,2%) contre 1,7% attendu en juin”. Les opérateurs soutiennent désormais l’hypothèse d’un taux de la Fed d’au moins 4,50% en fin d’année, une altitude que l’institution n’avait pas vue depuis près de 15 ans.
Le marché financier tremble
En augmentant les taux, la Fed veut freiner l’inflation qui, bien qu’elle ait ralenti en août grâce à la baisse des prix de l’essence, est restée à un niveau plus élevé que prévu de 8,3% en glissement annuel. La Fed veut éviter une répétition du scénario des années 1980 lorsque les prix ont bondi de 15% Et ce malgré le risque de récession créé par les conséquences d’une hausse des taux d’intérêt, non seulement aux États-Unis mais aussi dans l’économie mondiale. Cependant, la bonne tenue du marché du travail américain, avec un taux de chômage au plus bas des 50 dernières années (3,7%) donne à la Fed la marge de manœuvre pour réussir le “soft landing” de la situation économique.
Taux d’intérêt des entreprises et des gouvernements au plus haut niveau
La politique monétaire agressive de la banque centrale américaine se fait déjà sentir. Lundi, avant même cette nouvelle hausse des taux, les rendements du Trésor américain ont atteint leur plus haut niveau en onze ans. Les bons du Trésor américain à 10 ans ont augmenté de 3,51 % pour la première fois depuis avril 2011. Cette période chaude du marché obligataire pèse déjà sur les conditions de financement des entreprises. Le taux d’intérêt moyen sur un prêt à 10 ans pour les entreprises américaines les mieux notées a bondi de près d’un point depuis début août. Pour les entreprises les moins bien notées, le coût moyen du crédit est désormais proche de 9 %, contre environ 4 % il y a encore un an. Le marché du logement est également en première ligne, le taux hypothécaire moyen sur 30 ans ayant dépassé 6 % la semaine dernière pour la première fois depuis 2008.
Débat sur la nécessité de relever les taux d’intérêt
Cependant, la politique monétaire menée par la plupart des banques centrales du monde pour lutter contre l’inflation ne fait pas consensus. “Cela me rappelle ce qui s’est passé avec l’hémorragie”, a déclaré le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz dans un entretien à l’AFP, évoquant l’ancienne pratique consistant à saigner un patient pour le guérir. « Lorsqu’un malade saignait, il ne guérissait généralement que par miracle. Alors ils l’ont saigné encore plus et sa santé s’est détériorée encore plus. J’ai peur que les banquiers centraux fassent la même chose en ce moment”, a critiqué l’économiste. « L’économie avait-elle vraiment besoin que cela ralentisse ? s’interroge Eric Dorr, directeur des études économiques à l’IESEG. Selon lui, “l’inflation a elle-même créé la baisse de l’activité, les ménages perdent du pouvoir d’achat, la croissance des salaires est inférieure à l’inflation et freine la consommation”, notamment pour l’Europe où la hausse des taux d’intérêt risque de fragiliser davantage l’économie. « Cela entraînera-t-il une petite perte de croissance ? » C’est possible”, a reconnu la semaine dernière la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, lors d’une conférence à Paris. Mais pour elle “c’est un risque qu’il faut prendre avec bonne mesure”. Selon Joseph Stiglitz, le boom inflationniste est moins causé par une demande excédentaire que par la hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires et les goulots d’étranglement persistants dans les chaînes d’approvisionnement. Des phénomènes contre lesquels les banquiers centraux ont un champ d’action beaucoup plus restreint. “Ils utilisent un médicament qui résulte d’un mauvais diagnostic”, siffle l’économiste, avertissant que l’on pourrait voir les loyers américains continuer à s’envoler sous l’effet de la hausse des taux d’intérêt et donc l’inflation persister. “Le risque est que, sans avoir un réel impact sur l’inflation, cette politique alourdisse les coûts en termes d’activité et d’emploi”, craint Eric Dorr.