Posté à 7h00
Son crime aux yeux du régime iranien ? Ayant “mal” porté son voile à Téhéran, laissant dépasser quelques cheveux. Arrêtée et battue par la police des mœurs iranienne, Mahsa est décédée dans des circonstances troublantes vendredi dernier. Une mort tragique qui a provoqué la colère et l’indignation des femmes iraniennes et des défenseurs des droits et des libertés, en Iran et ailleurs. Les femmes sont descendues dans la rue pieds nus. Certains ont brûlé leurs voiles. Trois personnes sont mortes lors de manifestations violemment réprimées. « Voulez-vous vraiment savoir comment la police des mœurs iranienne a tué Mahsa Amini, 22 ans ? Regardez cette vidéo et ne permettez à personne de normaliser le hijab obligatoire et la police des mœurs. Scarlet Maid de Margaret Atwood n’est pas une fiction pour nous Iraniens. C’est une réalité », a tweeté l’activiste iranien Masih Alinejad, fondateur du mouvement #WhiteWednesdays, qui vit en exil aux États-Unis. Shaparak Shajarizadeh, une militante féministe iranienne qui a été forcée de fuir son pays après avoir manifesté contre le voile obligatoire dans le mouvement initié par Masih Alinejad, connaît cette réalité plus mal que quiconque ne peut l’imaginer. Comme Mahsa, Shaparak a déjà été arrêté à Téhéran simplement parce qu’il voulait être libre. Comme Mahsa, elle a été envoyée au centre de détention de Vozara et y a passé des heures angoissantes. Contrairement à Mahsa, elle a eu la chance d’être défendue par la grande avocate Nasrin Sotoudeh, avant d’être elle-même condamnée à la prison pour avoir défendu le droit des femmes à choisir librement de porter ou non le hijab. “Souviens-toi, je t’ai parlé de ce centre de détention…”, me dit Shaparak, qui vit maintenant à Toronto, en fondant en larmes. Bien sur que je me souviens. J’ai recueilli le témoignage sanglant de Shaparak pour une chronique puis pour son livre La liberté n’est pas un crime (Plon). J’ai encore des frissons en y pensant. Shaparak n’a pas pu dormir un seul clin d’œil depuis qu’il a appris l’histoire tragique de Mahsa et la répression qui a suivi contre les manifestants. De sombres souvenirs refont surface. “Ils m’ont frappé dans le même bâtiment. Pendant deux ans, j’ai dû faire face au traumatisme de ce qui s’est passé là-bas. Je ne supportais plus d’être seul dans une pièce avec la porte fermée. Je suis devenu claustrophobe. J’ai eu des crises de panique. Même maintenant…” Il continue de penser à ce que Mahsa elle-même a pu vivre derrière ces portes closes aux mains de ces « monstres » du centre de détention du groupe vice-présidentiel. Comme elle a dû se sentir vulnérable. “J’avais alors 42 ans. Elle, seulement 22 ans…” Shaparak y a été envoyée en février 2018, menottée comme une criminelle, pour avoir manifesté pacifiquement contre le hijab obligatoire, un simple voile blanc tenu au bout d’un bâton. Le grand patron du centre de détention l’avait accueillie avec mépris en essayant de lui faire peur. « Nous allons te casser, la pauvre. Nous allons vous écraser. » PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE Shaparak Shajarizadeh, militante féministe iranienne Là, elle a été soumise à une fouille à nu humiliante avant d’être jetée dans une cellule. Ils lui ont dit qu’elle est une pute, une chienne, une espionne, qu’elle pourrira en prison. Ils ont menacé de lui donner des décharges électriques. Ils l’ont battue, lui cognant la tête contre le sol. À un chercheur qui s’est moqué de son acte de désobéissance pacifique, Shaparak a répondu : « Je m’en fiche. En faisant cela, je fais un petit geste qui, ajouté à ceux des autres, finira par affecter l’univers. C’est ce qu’on appelle l’effet papillon. Je crois en cela. » Il y croit encore, même en exil. Les femmes iraniennes font preuve de plus en plus d’audace et ont de plus en plus d’alliées. « Les longues peines de prison pour ceux qui s’opposent au hijab obligatoire ont créé encore plus de résistance. Plus de femmes que jamais sortent sans elle. Et de plus en plus de gens se mettent en colère. Ils en ont marre de ce régime. Ils sont fatigués de la violence. Je ne crois pas que les autorités pourront continuer à obliger les femmes à se soumettre à la police des mœurs. » L’Iran est à un tournant, estime-t-il. Si ce n’est pas le début de la fin du régime, ce sera au moins le début de la fin des violences faites aux femmes. C’est du moins ce qu’elle espère, compte tenu de la bravoure de Mahsa et de tous ceux qui l’ont précédée. Si l’histoire tragique de la jeune femme a suscité une vague de solidarité internationale avec les femmes iraniennes, on ne peut qu’espérer qu’il ne s’agisse pas d’un mouvement éphémère. « J’espère juste qu’ils ne sont pas encore oubliés. » Parce que c’est une question de solidarité… Forcément, quand on traite de ce dossier au Québec, on accuse quiconque a le moindre doute sur le bien-fondé de notre loi respectant la laïcité de l’État et interdisant le hijab aux enseignantes pour manque de solidarité avec les femmes d’Iran. Cependant, cela masque la lutte d’un Masih Alinejad ou d’un Shaparak Shajarizadeh. Ces militantes courageuses ne demandent pas l’interdiction du hijab ici ou ailleurs. Ils exigent avant tout que les femmes soient libres. Libre de le mettre, libre de le retirer, libre de le critiquer. Libre de ne pas mourir pour une mèche de cheveux.