TF1, France 2 et les chaînes d’information suivantes étaient dans une édition spéciale le lundi 19 septembre, parfois à partir de 5h du matin, pour suivre les obsèques de la reine Elizabeth II : un excellent dispositif pour couvrir le dernier épisode d’une série médiatique titanesque. Ce rendez-vous a été suivi par des millions de téléspectateurs, selon les chiffres Médiamétrie diffusés par Pure media : 3,36 millions sur TF1 entre 13h00 et 13h52, 3,20 millions sur France 2 entre 13h15 h 15, 940 000 sur BFM-TV entre 11 :58h et 13h14 – les différents instants correspondent à la coupure des séquences sélectionnées de chaque voie. Depuis l’annonce de la mort du souverain le 8 septembre, de nombreux médias français ont revu leur offre éditoriale : des dizaines de reporters envoyés au Royaume-Uni, de longues heures d’antenne, un défilé quotidien d’experts de la famille royale, des hors-séries à répétition… Vous risquez d’exagérer ? David Médioni est directeur de l’Observatoire des médias de la Fondation Jean Jaurès et journaliste. Début septembre, il rédige et publie, en collaboration avec Arte et l’Observatoire Société & Consommation, un rapport intitulé « Le français et la fatigue de l’information. Changements et tensions dans notre rapport à l’information”. Il revient sur la couverture de la mort d’Elizabeth II dans un contexte de surcharge d’informations. A lire aussi : L’article de nos abonnés Adieu à Elizabeth II, spectaculaire, anachronique et merveilleusement pompeux
Avant même l’annonce du décès de la reine, le 8 septembre, en début de soirée, plusieurs chaînes d’information étaient déjà en édition spéciale. Pendant dix jours, BFM-TV a déménagé une partie de sa rédaction à Londres et y a envoyé une dizaine d’équipes. Que révèle l’intensité du traitement de la mort d’Elizabeth II ? Il convient de distinguer les chaînes d’information en continu, la radio, les réseaux sociaux et la presse écrite – même si cette dernière n’est pas exempte de censure, Le Parisien a fait cinq unes en dix jours sur la question. Dans l’ensemble, l’ampleur de la couverture de cet événement met l’accent sur l’émotion plutôt que sur l’information. Il y avait une forme de disproportion et un délire médiatique dans une logique d’audience à court terme. Le dimanche 11 septembre, trois jours après la mort de la reine d’Angleterre, une contre-attaque majeure se déroulait en Ukraine et les journaux du soir ne l’évoquèrent qu’à 20h25. Et dans ce cas, comme dans d’autres, le même cercle vicieux se crée : les réseaux sociaux s’emballent [la mort de la souveraine britannique a battu un record historique sur Twitter, le soir de sa mort, avec un pic de 1 834 tweets publiés par seconde] et les médias s’en mêlent, puis les politiciens réagissent. Dans ce cas, la Première ministre Elizabeth Bourne est allée jusqu’à déclarer : « Les Français sont aussi en deuil. Lorsque le moteur médiatique se met en marche, personne ne veut être exclu de la grande cérémonie émotionnelle du moment. Au vu de l’audience des chaînes de streaming d’actualités après la mort d’Elizabeth II, on pourrait penser qu’il existe une réelle demande pour ces formes d’édition d’actualités… Ne crois pas. On peut avoir l’impression que si le public est là, c’est que le public nous suit. Dans l’étude menée par la Fondation Jean Jaurès, Arte et l’Observatoire Société & Consommation, et publiée début septembre, nous avons pu analyser les effets directs de la surcharge d’information sur les Français : 85% d’entre eux déclarent qu’« ils ont le sentiment de voir les mêmes nouvelles toute la journée. 59% estiment que cette surcharge d’informations les empêche de prendre du recul. 53 % ont souvent l’impression de n’avoir rien lu ou entendu d’utile ou d’intéressant de la journée. 51% ont du mal à distinguer ce qui est vraiment important ou pas. 49% ont du mal à se faire une opinion… Lire aussi : Funérailles d’Elizabeth II : la cérémonie du jour d’adieu de la reine en images
Avant même les chaînes d’information incessantes, les réseaux sociaux ont encore une fois fourni une caisse de résonance très importante pour l’événement. Est-ce un moyen de trouver des informations plus personnalisées ? Ce que notre étude nous apprend, c’est que même les plus à l’aise avec les réseaux sociaux n’arrivent pas toujours à s’y retrouver dans le flux d’informations qui y circulent. Nous avons identifié une population que l’on a qualifiée d’« hyper-connectée épuisée » (17 % de l’échantillon), majoritairement des jeunes diplômés des centres urbains à forte consommation de médias et de codes de réseaux sociaux, dont on pourrait penser qu’ils sauraient comment naviguer dans cet univers informationnel. . En effet, les hyperconnectés rapportent également du stress et de l’anxiété, liés à cette surexposition. Peut-on mesurer les effets à long terme de cette surexposition informationnelle ? Cela peut conduire à des formes d’épuisement et de retrait des médias. D’après notre étude, 53% des Français déclarent désactiver régulièrement les notifications de leur téléphone portable, 30% s’obligent parfois à ne pas allumer la télé et 27% déclarent contrôler le temps qu’ils passent derrière un écran. Il y a une réelle volonté de se retirer de l’espace médiatique : 77% des Français interrogés disent limiter parfois leur accès à l’information voire arrêter de la consulter, dont 28% régulièrement. Ces logiques publiques basées sur l’émotion rompent peu à peu le lien entre le public et les médias. La surcharge d’informations gaspille à la fois la confiance et la connexion que vous pouvez avoir avec les téléspectateurs, les auditeurs ou les lecteurs. A lire aussi : Article réservé à nos abonnés Obsèques d’Elizabeth II : la télé au rendez-vous des derniers instants d’une reine née sur le petit écran
Juliette Bénézit